Pourquoi la fiction suisse a recours à des acteurs belges?

Pourquoi la fiction suisse a recours à des acteurs belges?

Pourquoi la fiction suisse romande a recours si souvent à des acteurs belges?

 

Les fictions suisses romandes de cinéma ou de télévision font appel régulièrement à des acteurs belges pour interpréter des rôles principaux.

 

Nous avons vu qu'il y avait matière à débattre quand ils jouent des personnages typiquement suisses romands dans cet article.

 

Mais quel est le intérêt pour une production suisse de recourir à des interprètes belges plutôt qu'à des acteurs locaux?

 

Si on désire s'allier à un partenaire francophone pour augmenter son potentiel de public, il parait nettement plus logique de se tourner vers la France avec ses 67 mio d'habitants, plutôt que vers la Belgique et ses 4.5mio de francophones.

 

Pourquoi donc faire appel à des interprètes belges?

 

- Parce qu'ils parlent le français avec un accent charmant?

- Parce qu'ils sont plus charismatiques?

- Parce qu'ils ont plus d'expérience au cinéma?

- Parce qu'ils permettent une coproduction avec une société belge?

- Parce qu'ils donnent accès à leur zone de diffusion francophone?

- Parce qu'ils coûtent moins cher ?

 

- Parce qu'ils coûtent moins cher et permettent en plus d'économiser de l'argent????

 

 

La coproduction avec la Belgique

 

De manière générale, une coproduction avec une société de production audiovisuelle belge est très intéressante financièrement.

 

Les accords avec ces sociétés de production belges sont préalablement soumis à des règlements et à des négociations.

 

C'est donc dès la phase du montage financier du film, lors des négociations entre coproducteurs, que des acteurs belges vont être imposés au casting. 

 

Pour comprendre la raison principale de la présence massive d'interprètes belges dans des premiers rôles suisses romands ces 5 dernières années, il faut comprendre le système du Tax Shelter.

 

 

Le Tax Shelter belge

 

Le Tax Shelter est une incitation fiscale, créée en 2004 par l'état Belge, qui vise à convaincre les cinéastes de faire appel au savoir-faire belge et de tourner leurs films en Belgique. Ces programmes de soutien sont ouverts aux coproductions internationales

 

Le Tax Shelter se veut être un système gagnant pour tous les partenaires:

 

- Le producteur :

bénéficie d'un moyen très avantageux pour financer ses projets. WIN!

 

- Les investisseurs :

obtiennent des déductions de taxes et d'impôts et prennent un risque financier quasi inexistant. WIN!

 

- L'état belge :

profite de l'activité économique et des dépenses locales dues au projet. WIN!

 

 

Le Tax shelter permet à toute entreprise de bénéficier d'une exonération d'une partie du montant investi dans une production audiovisuelle. il accorde une réduction du bénéfice imposable de 310% des sommes investies.

 

Dans la pratique, par toute une série d'avantages fiscaux et autres mécanismes financiers, il permet également aux investisseurs de faire un placement avec un rendement garanti par l'état de belge de 5.3% auxquel vient s'ajouter le taux Euribor de 6,49%.

 

Les aides au financement audiovisuelle de Wallonie

 

La Belgique francophone dispose également de systèmes d'aide au financement audiovisuel; WallImage et BXL Image. Ces aides permettent d'augmenter l'investissement effectué dans ces régions jusqu'à 24%. 

 

En combinant ces aides au Tax Shelter, on peut financer jusqu'au 3/4 des dépenses sur le sol belge.

 

Ces avantages financiers pour l'audiovisuel sont uniques en Europe

 

 

La Timballe Belge

 

Voici un exemple où pour un coût total de 1,26 mio d'Euros en production et post-production sur le sol belge, l'investisseur ne devra débourser en fait que 420 milles Euros !

 

 

La Belgique a tout pour séduire en matière de production audiovisuelle, comme le montre la vidéo d'où est tiré cette image.

 

Le monde du cinéma se tourne vers la Belgique

 

Les investissements débarquent en force en Belgique depuis la création de ce système.

 

Du coup, les Français mais aussi les Américains s'intéressent à ce miraculeux mécanisme et se tournent vers la Belgique pour boucler leurs budgets.

 

L'argent du tax shelter devant bien entendu être dépensé en Belgique, Nicole Kidman tourne à Bruxelles dans Grace de Monaco, Jean Dujardin dans Möbius et Aaron Eckhart dans The Expatriate.

Même Spielberg avec The Fifth Estate, s'arrête en Belgique. Du côté français on ne compte plus les productions: Boule et Bill, Astérix et Obélix, L'écume des jours, Le petit Nicolas, Potiche, Rien à déclarer.

 

Et ça rapporte ?


En 2018, l’abattement d’impôt d’un côté et l’intérêt supplémentaire sur l’investissement de l’autre offrent actuellement un gain global net garanti de 9,65% sur le montant de l’opération. 

 

Voici ce que ce système permet d'économiser en impôts et de gagner en investissant 100'000 Euros :

 

 

Exemple tiré de la société Ufund.be, qui propose de gérer votre optimisation fiscale et que l'on retrouve pratiquement à l'identique chez TaxShelter.be, ou  ScopeInvest.

 

Le cinéma Suisse romand aime aussi le Tax Shelter

 

Il peut donc paraître tout à fait normal que la production de cinéma et de télévision suisse romande se tourne vers les avantages fiscaux belges

 

En effet, il parait stupide de se priver de financement complémentaires très avantageux.

 

 

Une des conditions des partenariats belges est l'engagement de personnel technique, et d'interprètes belges.

 

Mais les règlements des subventionneurs suisses et du Fonds de production télévisuelle  demandent eux aussi que l'on fasse appel autant que possible au personnel technique et aux interprètes suisses ou résidant en Suisse.

Voir l'article sur le financement du cinéma Suisse et ses contraintes, ici.

 

Comment du coup, obtenir l'argent des subventionneurs suisses et les avantages fiscaux belges?

 

 

Le cas de conscience suisse romand

 

Force est de constater que la production cinématographique et télévisuelle suisse romande, dont celle de la RTS, on fait le choix de jouer sur l'exception.

 

Les règlements des subventionneurs suisses et du fonds de production télévisuelle  demandent de faire appel:

- "autant que possible"

- "exclusivement, sauf exceptions motivées"

à des interprètes suisses ou résidant en Suisse. 

 

Ces règlements offrent donc des exceptions pour cause de "non disponibilité" d'interprètes locaux pour un rôle. 

 

La RTS de son côté, affiche ses intentions de mettre en avant des interprètes portant l'empreinte de sa région.

Mais elle désire également laisser une indépendance, une "liberté artistique" aux sociétés de production qui réalisent ses fictions.

 

Il suffit donc d'avoir recours à ces brèches pour justifier le choix d'interprètes belges au casting.

 

Les producteurs n'ont qu'à dire qu'ils n'ont pas trouvé en Suisse la "perle rare" capable d'interpréter un rôle de leur fiction. Et les interprètes locaux passent au second plan sans que cela semble poser problème au subventionneur ou aux fonds de financements . 

 

Par contre, il parait bien plus difficile de jouer avec les règlements belges du Tax Shelter.

 

Ainsi les rôles principaux des fictions suisses sont attribués à des interprètes belges pour obtenir un financement supplémentaire et réduire une partie des coûts de production.

 

On peut s'étonner que quand les producteurs français ou américains ont recours aux avantages du Tax Shelter belge, les premiers rôle de leurs fictions sont encore tenus par des interprètes de leur pays et que ce sont des rôles secondaires ou des silhouettes qui sont attribués à des belges.

 

 

 

L'optimisation fiscale du cinéma suisse romand

 

On a crié au scandale lors des Panama Papers qui dévoilaient  comment les grandes entreprises faisaient de l’optimisation fiscale, via le sandwich hollandais, le double irlandais, la filiale au Luxembourg, etc. Petit rappel de ces procédés dans un article du Monde.

 

Le recours à l'optimisation fiscale est monnaie courante pour les sociétés privées. L'industrie du cinéma ne déroge pas à cette règle, l'état belge a donc voulu attirer ces flux d'argent. 

 

En Suisse, le cinéma n'est pas une industrie reposant sur des fonds privés. Le cinéma et la production audiovisuelle suisse reposent sur des aides d'état: redevance sur la radio et télévision, OFC, Cinéform, ou sur le Fonds de production télévisuelle

 

Que penser dès lors de l'argent public suisse qui participe d'un système d'optimisation fiscale via le Tax Shelter belge ?

 

Au final, ce système est-il gagnant pour tous les partenaires de la production cinématographique suisse?

 

Nous avons vu que le Tax Shelter se veut être un système gagnant pour tous les partenaires:

 

- Le producteur

bénéficie d'un moyen très avantageux pour financer une partie de ses projets. WIN!

 

- Les investisseurs

obtiennent des déductions de taxes et d'impôts et prennent un risque financier quasi inexistant. WIN!

 

- L'état belge

profite de l'activité économique et des dépenses locales dues à une partie du projet. WIN!

 

- L'état suisse

ne profite PAS de l'activité économique et des dépenses locales dues à une partie du projet. LOSE!

 

- Les investisseurs

ne paient PAS de taxes et d'impôts en Suisse sur ce financement en Belgique. LOSE!

 

- Une partie des équipes techniques et prestations

ne sont plus des intervenants localisés en Suisse. LOSE!

 

- Les interprètes suisses ou résidant en Suisse

n'obtiennent pratiquement plus de rôles principaux. LOSE!

 

 

 

Les financeurs du cinéma suisses doivent se faire respecter

 

Quand, en suisse romande, on constate que: 

 

les règlements des subventions du cinéma suisse et du Fonds de production télévisuelle sont appliqués quasi systématiquement dans leurs exceptions,

 

- les sociétés de production dérogent à la règle qui demande un recours en premier lieu à des acteurs suisses ou résidant en Suisse dans la plupart des rôles principaux retenus,

 

- le choix de faire appel à des acteurs étrangers a lieu dès le montage financier du film en cherchant une coproduction belge dans le but d'augmenter le budget 

 

Il est temps de demander :

 

- que les financeurs du cinéma et de la télévision suisse fassent appliquer leurs règlements,

 

- que la RTS demande à ses partenaires de production de respecter ses intentions en matière d'interprètes au fort ancrage local,

 

- que le public romand puisse se reconnaître dans les rôles principaux de ses fictions

 

Parce que l'identité culturelle du cinéma suisse romand ne doit pas reposer sur des acteurs belges ou français.

 

 

Sources: 

- Promotion de l’industrie cinématographique belge, Belgiumfilm.be

Investir à Bruxelles, CinéWallonia

- Article de 2013 de Moustique.be

- ScopeInvest, TaxShelter.beUfund.be

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